Les concertations préalables à l’élaboration des plans climats territoriaux génèrent bien souvent des débats profonds sur des sujets fondamentaux. Considérant, par exemple, un territoire mixte, associant espace rural et petites villes, il est incontournable d’aborder la nécessaire mutation de l’agriculture, responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre.
A l’occasion d’un exercice récent, au cœur de la Vendée, j’ai pris l’option d’organiser le débat autour des enjeux de production et de consommation responsable, invitant les acteurs sociaux économiques réunis à traiter séparément les questions concernant l’évolution attendue de l’agriculture et de l’industrie. Si le débat sur les biens et services industriels n’est pas simple, il avance sans grosse difficulté dans la mesure où les représentations qu’ont les débatteurs de l’industrie – ici la petite industrie – sont relativement convergentes.
Rien de tel concernant l’agriculture où l’on voit apparaître, une différenciation de plus en plus forte entre deux « modèles » agricoles.
D’un côté, une agriculture qualifiée de conventionnelle pour éviter de dire productiviste. En fonction du point d’observation et des observateurs ce modèle sera présenté, soit comme la seule voie pour nourrir le monde – en qualité et en quantité - et pour produire les agro-matériaux et agrocarburants qui permettront de sortir notre société de la dépendance au pétrole, soit comme l’impasse fatale qui détruit les sols, pollue les nappes phréatiques, détruit la biodiversité et l’emploi en zone rurale.
De l’autre, une agriculture dite paysanne, qui là aussi fait l’objet de perceptions diamétralement opposées : agriculture de niche tout juste adaptée à satisfaire les désirs de naturalité des bobos des villes, pour les uns; seule solution pour garantir la durabilité d’une production alimentaire sûre et saine, dans le respect des contraintes écologiques de la planète et seule option pour maintenir la dynamique démographique, économique, sociale et culturelle des territoire ruraux, pour les autres.
Cette cartographie du débat ne serait pas complète si l’on omettait de préciser que les promoteurs de tel ou tel modèle se répartissent de manière équilibrée entre agriculteurs et non agriculteurs. Ainsi il est possible de superposer la rencontre d’un éleveur bio s’opposant à un urbain « traditionnel » s’approvisionnant exclusivement dans la grande distribution, avec la confrontation d’un bobo partenaire d’une AMAP, débattant avec un céréalier de la Beauce. Il est surtout évident que ces positions et perceptions, aussi légitimes soient elles, ne font que polariser les échanges et stériliser l’intelligence collective. D’autant que les agriculteurs sont, en règle général, en souffrance profonde, fatigués d’être régulièrement pointé du doigt comme responsables de bien des maux : impact néfaste de leurs activités sur l’environnement ; standardisation des productions ; perte de goût des produits ; consommation de subventions ; utilisation excessive d’intrants chimiques… sans que soit ouvertement reconnu leur contribution à la souveraineté alimentaire de l’Europe, mandat qui leur avait été donné au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Il est dès lors, dans cette architecture des positions et des perceptions, quasiment impossible de faire progresser le débat pour identifier les pistes d’une mutation d’envergure de l’agriculture actuelle.
La seule option pour débloquer cette situation serait, me semble-t-il, de forcer l’échange entre producteurs conventionnels et producteurs paysans en faisant l’effort de souligner ce que sont les forces et les faiblesses de chacun des modèles, ce qui les différencie, mais aussi ce qui les rapproche ou ce qui pourrait les rapprocher. Ce forçage est possible, surtout si l’on part du principe que les agriculteurs – quelque soit le modèle vers lequel ils s’orientent – sont d’abords des gens de la terre, des gens attachés à l’espace rural et donc des acteurs a priori motivés pour rechercher et mettre en œuvre le meilleur compromis entre productivité et durabilité de la production. Partons donc du postulat que les agriculteurs sont aussi des citoyens empreints de responsabilité et soucieux de durabilité.
Nous parlons bien ici de rapprochement entre les producteurs et pas d’échanges entre les instances soit disant représentatives de ces producteurs. Je crains en effet qu’à cette échelle les postures sont bien trop verrouillées par les enjeux du moment sur les aides à l’agriculture, l’évolution de la PAC ou la régulation des marchés.
C’est en repartant du terrain qu’il sera possible de faire émerger des pistes de transformation, des évolutions structurant progressivement l’émergence de nouvelles pratiques. C’est « par dessus le talus » ou « au bords du champ » que l’on pourra reconstruire la confiance mutuelle entre ces producteurs sortis initialement du même creuset mais qui ont probablement plus subit que conduit les évolutions de ces dernières années, évolutions qui aboutissent aujourd’hui à cette divergence des modèles, divergence stérilisante.
Ce rapprochement devra être conduit sans angélisme, et, autant que faire se peut, en s’appuyant sur des faits concrets et des données partagées pour qualifier l’état actuel de notre agriculture, dans toutes ses composantes : économique, écologique, culturelle, sociale, sans bien sur oublier la qualité des produits ou les incidences internationales des choix opérés en Europe. Programme ambitieux certes, mais pouvons nous encore faire l’économie de cette analyse concertée, de cette construction collective de l’agriculture de demain ?
Et puis, s’il n’est pas nécessaire d’être certain pour entreprendre… il est surtout important de regarder qu’ici où là des échanges de cette nature voient déjà le jour, comme on peut l’observer en Bretagne où certains maraîchers bio échangent régulièrement avec leurs collègues conventionnels pour faire évoluer les pratiques des uns des autres, pour le meilleur cette fois ! Exemples à suivre et débat à poursuivre.
Bruno Rebelle
Praticien et promoteur d’un développement vraiment durable
A l’occasion d’un exercice récent, au cœur de la Vendée, j’ai pris l’option d’organiser le débat autour des enjeux de production et de consommation responsable, invitant les acteurs sociaux économiques réunis à traiter séparément les questions concernant l’évolution attendue de l’agriculture et de l’industrie. Si le débat sur les biens et services industriels n’est pas simple, il avance sans grosse difficulté dans la mesure où les représentations qu’ont les débatteurs de l’industrie – ici la petite industrie – sont relativement convergentes.
Rien de tel concernant l’agriculture où l’on voit apparaître, une différenciation de plus en plus forte entre deux « modèles » agricoles.
D’un côté, une agriculture qualifiée de conventionnelle pour éviter de dire productiviste. En fonction du point d’observation et des observateurs ce modèle sera présenté, soit comme la seule voie pour nourrir le monde – en qualité et en quantité - et pour produire les agro-matériaux et agrocarburants qui permettront de sortir notre société de la dépendance au pétrole, soit comme l’impasse fatale qui détruit les sols, pollue les nappes phréatiques, détruit la biodiversité et l’emploi en zone rurale.
De l’autre, une agriculture dite paysanne, qui là aussi fait l’objet de perceptions diamétralement opposées : agriculture de niche tout juste adaptée à satisfaire les désirs de naturalité des bobos des villes, pour les uns; seule solution pour garantir la durabilité d’une production alimentaire sûre et saine, dans le respect des contraintes écologiques de la planète et seule option pour maintenir la dynamique démographique, économique, sociale et culturelle des territoire ruraux, pour les autres.
Cette cartographie du débat ne serait pas complète si l’on omettait de préciser que les promoteurs de tel ou tel modèle se répartissent de manière équilibrée entre agriculteurs et non agriculteurs. Ainsi il est possible de superposer la rencontre d’un éleveur bio s’opposant à un urbain « traditionnel » s’approvisionnant exclusivement dans la grande distribution, avec la confrontation d’un bobo partenaire d’une AMAP, débattant avec un céréalier de la Beauce. Il est surtout évident que ces positions et perceptions, aussi légitimes soient elles, ne font que polariser les échanges et stériliser l’intelligence collective. D’autant que les agriculteurs sont, en règle général, en souffrance profonde, fatigués d’être régulièrement pointé du doigt comme responsables de bien des maux : impact néfaste de leurs activités sur l’environnement ; standardisation des productions ; perte de goût des produits ; consommation de subventions ; utilisation excessive d’intrants chimiques… sans que soit ouvertement reconnu leur contribution à la souveraineté alimentaire de l’Europe, mandat qui leur avait été donné au lendemain de la 2ème guerre mondiale. Il est dès lors, dans cette architecture des positions et des perceptions, quasiment impossible de faire progresser le débat pour identifier les pistes d’une mutation d’envergure de l’agriculture actuelle.
La seule option pour débloquer cette situation serait, me semble-t-il, de forcer l’échange entre producteurs conventionnels et producteurs paysans en faisant l’effort de souligner ce que sont les forces et les faiblesses de chacun des modèles, ce qui les différencie, mais aussi ce qui les rapproche ou ce qui pourrait les rapprocher. Ce forçage est possible, surtout si l’on part du principe que les agriculteurs – quelque soit le modèle vers lequel ils s’orientent – sont d’abords des gens de la terre, des gens attachés à l’espace rural et donc des acteurs a priori motivés pour rechercher et mettre en œuvre le meilleur compromis entre productivité et durabilité de la production. Partons donc du postulat que les agriculteurs sont aussi des citoyens empreints de responsabilité et soucieux de durabilité.
Nous parlons bien ici de rapprochement entre les producteurs et pas d’échanges entre les instances soit disant représentatives de ces producteurs. Je crains en effet qu’à cette échelle les postures sont bien trop verrouillées par les enjeux du moment sur les aides à l’agriculture, l’évolution de la PAC ou la régulation des marchés.
C’est en repartant du terrain qu’il sera possible de faire émerger des pistes de transformation, des évolutions structurant progressivement l’émergence de nouvelles pratiques. C’est « par dessus le talus » ou « au bords du champ » que l’on pourra reconstruire la confiance mutuelle entre ces producteurs sortis initialement du même creuset mais qui ont probablement plus subit que conduit les évolutions de ces dernières années, évolutions qui aboutissent aujourd’hui à cette divergence des modèles, divergence stérilisante.
Ce rapprochement devra être conduit sans angélisme, et, autant que faire se peut, en s’appuyant sur des faits concrets et des données partagées pour qualifier l’état actuel de notre agriculture, dans toutes ses composantes : économique, écologique, culturelle, sociale, sans bien sur oublier la qualité des produits ou les incidences internationales des choix opérés en Europe. Programme ambitieux certes, mais pouvons nous encore faire l’économie de cette analyse concertée, de cette construction collective de l’agriculture de demain ?
Et puis, s’il n’est pas nécessaire d’être certain pour entreprendre… il est surtout important de regarder qu’ici où là des échanges de cette nature voient déjà le jour, comme on peut l’observer en Bretagne où certains maraîchers bio échangent régulièrement avec leurs collègues conventionnels pour faire évoluer les pratiques des uns des autres, pour le meilleur cette fois ! Exemples à suivre et débat à poursuivre.
Bruno Rebelle
Praticien et promoteur d’un développement vraiment durable
Bruno Rebelle |
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Directeur de Transitions, agence conseil en développement durable Ancien responsable de Greenpeace en France et à l'international |
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| Par Bruno REBELLE | Mardi 18 Janvier 2011 à 22:14 | 0 commentaire