Une des orientations de la coopération entre l’Europe et l’Afrique est destinée à renforcer les dynamiques de développement local pour inciter les candidats à l’émigration à rester au pays. Si l’ambition est louable, la mise en œuvre de certaines de ces initiatives est assez désespérante. La Ferme de Mbilor dans la vallée du fleuve Sénégal est un de ces projets aussi couteux qu’inutiles.
Tout le monde garde en mémoire les flux de migrants du Sénégal, du Mali et de Mauritanie, tentant d’entrer en Europe par les portes espagnoles des iles Canaries ou de Ceuta. En 2006, l’Espagne prenait des mesures radicales pour fermer ses frontières et renvoyer les candidats à l’exode, la plupart du temps des jeunes en quête d’emploi, vers leurs pays d’origine. Conscients de la nécessité de traiter aussi le problème à la source, la coopération espagnole proposait dans le même temps des projets de développement visant à garder les jeunes au pays.
En février 2012, j’ai eu l’occasion de découvrir un de ces projets « pilotes » conçu pour créer de l’emploi local et fixer les jeunes professionnels au pays. La déconvenue est totale : la ferme de Mbilor est un de ces projets stupides qui viendra rallonger la longue liste des « éléphants blancs » dénoncés depuis des décennies et dont l’Afrique est malheureusement encombrée.
En février 2012, j’ai eu l’occasion de découvrir un de ces projets « pilotes » conçu pour créer de l’emploi local et fixer les jeunes professionnels au pays. La déconvenue est totale : la ferme de Mbilor est un de ces projets stupides qui viendra rallonger la longue liste des « éléphants blancs » dénoncés depuis des décennies et dont l’Afrique est malheureusement encombrée.
La Ferme de Mbilor, à 8 heures de route de Dakar, occupe 4000 hectares destinés à la culture fourragère intensive irriguée par rampes circulaires automatisées comme on en voit aux Etats Unis. Soulignons que pour implanter ces cultures, il a fallu déplacer les agriculteurs qui vivaient de leurs productions vivrières sur la rive du fleuve. Mbilor c’est aussi une étable, dont la structure et le design feraient rêver bien des producteurs français. Elle est équipée d’une salle de traite de 10 places, dans un pays où l’on trait à la main des zébus qui ne produisent que 2 à 4 litres de lait par jour. L’étable héberge un troupeau de 100 vaches jersiaises de race pure, débarquées du Danemark il y a tout juste un mois. Toute l’installation a bien sur été importée en kit d’Europe… comme le fourrage, arrivant directement d’Espagne, pour nourrir les animaux avant que la production locale ne couvre les besoins. Plus délirant encore, alors que les vaches commencent à mettre bas et entrent en production, personne n’a imaginé comment le lait serait commercialisé… 100 vaches qui produisent 10 à 15 litres par jour ce sont tout de même 1500 litres qu’il faudra conditionner et distribuer dans les 24 heures dans une région où il fait 30 à 40°C et où les réfrigérateurs en état de marche se comptent sur les doigts d’une main. Voilà pour la dimension « économique » !
Mais, pas de panique, la dimension sociale du projet n’a pas été oubliée. Une centaine de bénéficiaires a été identifiée et organisée en 4 groupements qui se verront confiés l’exploitation de cette ferme ultramoderne, depuis la production du fourrage à la commercialisation du lait. Qu’on se rassure les bénéficiaires recevront une formation de 9 mois… A cette date la « garantie » du concepteur du projet, prendra fin. Et malheureusement, ce n’est pas un gag ! Quand on sait qu’en France on forme les jeunes entrepreneurs agricoles en plusieurs années, on peut raisonnablement douter de l’efficacité d’une formation de neuf mois pour s’approprier de technologies sans commune mesure avec les pratiques locales.
Tout cela à un coût : l’investissement représente 1,2 millions d’Euro en dehors du coût des experts espagnols qui encadrent le projet. Cela représente 12.000 € par « bénéficiaire », c’est à dire 10 ans de rémunération au salaire minimum conventionnel sénégalais pour chacun des bénéficiaires… On se dit qu’il aurait probablement été plus « adapté » de proposer à chacun de ces bénéficiaires un crédit équivalent pour qu’ils développent le projet de son choix. On ne peut aussi s’empêcher de comparer cet investissement avec d’autres options en matière de développement local. Ainsi le forage de Tionokh, à une centaine de kilomètre au Sud de la ferme de Mbilor, n’a coûté que 600.000 €, juste deux fois moins cher. Ici rien d’importé, que des technologies locales et un impact tout différent. 5000 villageois ont maintenant accès à l’eau, tous les jours. Ils se sont organisés pour gérer l’équipement, et faire payer l’eau à son juste prix. L’association des usagers du forage, assure l’entretien de équipements et met de côté chaque mois l’argent qui lui permettra dans 5 ans de remplacer la pompe et le moteur qui seront arrivés à la fin de leur vie. Et comme le plus important dans ce processus est l’organisation des acteurs locaux, les éleveurs se sont organisés, avec l’aide de l’ONG Agronomes et Vétérinaires sans Frontières, en Unité pastorale, pour gérer les pâturages qui entourent les villages, organiser une cohabitation harmonieuse entre agriculteurs et éleveurs et surtout préserver les ressources naturelles fragiles dans cet environnement sahélien. Rien de très spectaculaire, certes, mais une dynamique tellement plus efficace !
Soulignons que dans cette alternative, l’investissement consenti représente 2 mois de salaire par personne impliquée… De quoi faire réfléchir, espérons-le, les décideurs de la coopération espagnole et les responsables sénégalais !
Bruno Rebelle |
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Directeur de Transitions, agence conseil en développement durable Ancien responsable de Greenpeace en France et à l'international |
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| Par Bruno REBELLE | Dimanche 12 Février 2012 à 22:39 | 0 commentaire